Le Karakoram en hiver est une destination très inhospitalière. La météo y est particulièrement dure et il a fallu attendre le début des années 2010 pour que les premières réussites sur des 8.000 de la région soient d’actualité. En 2011, Denis Urubko, Simone Moro et Cory Richards réalisent la première hivernale du Gasherbrum II. L’hiver suivant, c’est Adam Bielecki et Janusz Golab qui ouvrent le sommet du Gasherbrum I. En 2013, une expédition polonaise s’intéresse au suivant sur la liste : le Broadpeak. A cette époque, les deux derniers 8.000 semblent impossibles à atteindre. Parmi eux, le K2 n’a toujours pas été gravi en hiver.
L’Himalaya en hiver : chasse gardée des Polonais
Pas moins de 4 tentatives ont déjà été menées dans les années précédentes par des expéditions polonaises. Il faut dire que cette nation s’est fait une spécialité sur les ascensions hivernales. Everest, Kangchenjunga, Lhotse, Cho Oyu, Dhaulagiri, Manaslu, Annapurna, Shishapangma… sur chacune de ces premières, un ou plusieurs Polonais étaient de la partie. En 1988, Maciej Berbeka avait atteint l’une des antécimes du Broadpeak (lors d’une expédition visant initialement le K2), mais plus de 10 ans plus tard, le sommet restait inviolé en hiver.
Alors bien logiquement, Maciej Berbeka fait partie de l’expédition arrivée au Broadpeak en ce début d’année 2013. Il a alors 58 ans et un CV d’himalayiste hivernal très impressionnant. A ses côtés, des jeunes ! Tomasz Kowalski, 27 ans, Artur Malek, 33 ans et Adam Bielecki, alors âgé de 29 ans. Ils sont dirigés par le vétéran Krzysztof Wielicki, le premier au sommet de l’Everest en hiver, en 1980.
Un début miraculeux, une suite laborieuse…
Quand l’équipe arrive au camp de base le 23 janvier 2013, le temps est splendide. Le vent est presque absent, fait rare dans la région à cette période de l’année. Du coup, les grimpeurs ne perdent pas de temps et profitent de cette miraculeuse fenêtre météo pour installer le premier camp d’altitude. Mais le miracle ne dure pas et les jours qui suivent ne sont pas la même partie de plaisir.
A plusieurs reprises, le camp 2 est dévasté par le vent. Ils arrivent malgré tout à installer un camp 3 à presque 7.100 mètres. L’objectif est d’ouvrir un dernier camp, vers 7.400m qui servirait de point de départ pour les attaques au sommet. Mi-février, Berbeka et Kowalski parviennent à installer leur tente à cette altitude, ouvrant officiellement le camp 4. Mais le mauvais temps est de retour et il faudra près de 2 semaines de patience aux grimpeurs pour pouvoir à nouveau sortir du camp de base.
Le sommet, première hivernale du Broadpeak
Le 4 mars, les alpinistes se hissent jusqu’au Camp 4. Berbeka et Bielecki se relaient dès le lendemain pour ouvrir la voie. Ils sont au col entre le Broadpeak Central (environ 8.000m) et l’antécime gravie par Berbeka en 1988 vers 12h30 (environ 8.028m). Les trois gigantesques crevasses entre le Camp 4 et le sommet ne sont pas une mince affaire mais ils progressent.
Pour la fin du parcours, ils forment deux cordées. Berbeka et Kowalski d’un côté, Bielecki et Malek de l’autre. Ils arrivent ainsi à l’antécime de 1988, aux alentours de 16h. Entre 17h20 et 18h, ils arrivent tour à tour au véritable sommet, 8.047 mètres. Le temps était très beau pendant toute cette journée du 5 mars ; elle est couronnée par cette réussite retentissante. Ils font alors demi-tour en conservant les deux cordées distinctes. Une fois les difficultés majeures franchies, chacun avance à son rythme.
La tragique descente
A la descente, Kowalski donne les signes d’une fatigue très avancée. Il lui faut près de 12 heures pour atteindre le Col, un trajet que l’on réalise en 1 heure environ en été. Berbeka lui propose de bivouaquer à 7.900m. Pendant ce temps, les deux autres arrivent aux camps inférieurs. Ne voyant pas leurs compagnons arriver, ils vont essayer de remonter mais sans succès. Ils sont beaucoup trop fatigués pour tenter quoi que ce soit.
Le 6 mars, le grimpeur Pakistanais Karim Hayat monte jusqu’à 7.700 mètres mais n’observe aucune trace de Kowalski et Berbeka. Le lendemain, le mauvais temps rend toute nouvelle tentative de secours très délicate. Voilà déjà deux nuits à bivouaquer à près de 8.000 mètres sans équipement adéquat… Le 8 mars, Krzysztof Wielicki met fin aux secours, le cœur gros. Dans une déclaration, il explique : « Dans ces circonstances, vues les conditions, mon expérience, l’histoire de l’alpinisme en Himalaya, nos connaissances sur la physiologie et la médecine de haute montagne, mais aussi après avoir échangé avec des médecins et les organisateurs de l’expédition en Pologne, je dois me résoudre à déclarer Maciej Berbeka et Tomasz Kowalski morts. L’expédition se termine. »
Ainsi s’achève cet exploit historique. Seuls deux des vainqueurs du Broadpeak en hiver sont revenus dans la vallée sains et saufs. Mais la légende de Maciej Berbeka est loin d’être éteinte. L’hiver prochain, un film intitulé « Broadpeak » devrait arriver dans les cinémas polonais. Il racontera l’épopée hivernale de 2013 sur le douzième sommet de la planète (voir photo d’illustration).
Illustration © Filmpolski.pl